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14 juillet 2008 1 14 /07 /juillet /2008 14:21


LE MONDE BOUGE - Design, sophistiqués, discrets... les télés à écran plat sont en plein boom. Des petits bijoux hautement écolos, clament des constructeurs. Sauf qu'on ne fait pas plus polluants que ces nouveaux objets de désir...





 

Voilà quelques années, les fabricants de téléviseurs se sont retrouvés face à un défi colossal.
Celui-là même qui enquiquine régulièrement tout industriel et menace son chiffre d'affaires : le renouvellement d'un parc - en l'occurrence de téléviseurs - saturé à 99 %. Qu'allaient-ils donc pouvoir inventer pour séduire le consommateur culturel qui se niche en chacun de nous, déjà équipé d'un poste, voire de deux, certes encombrants, mais qui fonctionnent encore ?
Fort heureusement, nos industriels avaient sous le coude un bon vieux truc du techno-capitalisme : le Nodec, ou Nouvel objet de désir et de convoi­tise.
Et le Nodec, en matière de télé, se prénomme « écran plat ».
Résultats foudroyants : alors qu'en 2004 les ventes de téléviseurs en France plafonnaient à 4,5 millions d'unités (en majorité des tubes cathodiques), en 2007, elles sont passées à 5,7 millions, dont 4,4 millions d'écrans plats.
Et 720 000 rien qu'en août et septembre 2007, grâce à la Coupe du monde de rugby ! Soit une croissan­ce de 84 % par rapport à 2006.

ll faut dire que le « flat », comme di­sent les Anglo-Saxons et mon ven­deur de chez Darty, est un bijou technologique, beau comme un écran de cinéma.
Discret et design. De moins en moins cher et de plus en plus grand.
Et même, cerise sur le gâteau, écolo. Si, si, vous avez bien lu, écolo.
Car voilà bien le dernier argument avancé par certains fabricants pour nous appâter, nous autres « consommacteurs » occidentaux sans cesse plus exigeants.
Noël approche, on va acheter plein de Nouveaux objets de désir, et comme il se trouve qu'on a une fibre verte, on veut en avoir le coeur net :
quel peut donc bien être l'impact écologique d'un écran plat ?

On a donc appelé l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Un organisme public capable de calculer les kilomètres parcourus par un pot de yaourt avant qu'il n'atterrisse dans votre réfrigérateur - 12 000 kilomètres.
Ou l'itinéraire d'un jean - autour de 27 000 kilomètres.
« Ce que vous cherchez à propos des écrans plats, c'est ce que n'importe quel chercheur aimerait actuellement avoir sur sa table... » Stéphane Le Pochat sait de quoi il parle, il est spécialiste en ACV, autrement dit en « analyse de cycle de vie ».
Un peu comme une boîte noire, l'ACV fait le bilan de tous les flux qui auront un impact sur l'en­vironnement au cours de la vie d'un produit : matières premières, émissions - gazeuses, chimiques... - et déchets.
« Le problème, c'est qu'aucun fabricant de téléviseur ne veut publier d'ACV, déplore Sté­phane Le Pochat. Même Philips, un pionnier dans l'éco-conception, refuse de le faire. »

Pourquoi ? D'abord à cause de la con­fidentialité extrême qui règne chez les fabricants, un secteur ultracompétitif où chacun veille jalousement sur ses petits et grands secrets de fabrication. Mais la réponse tient aussi en un autre mot : mondiali­sation.
Aujourd'hui, les industriels ne maîtrisent souvent que la derniè­re étape de fabrication d'un écran plat : l'assemblage, réalisé dans ses usines en Asie ou en Europe.
Mais pour en arriver là, il leur aura fallu récolter les différents composants
(fils, transformateurs, télécommande et autre carte-mère)
auprès d'une chaîne de sous-traitants.
« Ils achètent leurs composants au moindre prix, dans des bourses d'échange, précise Stéphane Le Pochat. Du coup, au jour le jour, les sources peuvent changer. »

Si l'industrie communique aussi peu, c'est aussi parce que la fièvre high-tech se paie au prix fort, sur le plan environnemental.
« Même sans ACV, on sait qu'il s'agit d'une des industries les plus polluantes et les plus énergivores », résume Yannick Vicai­re, de Greenpeace.
Un ordinateur ou un écran plat, pour être fabriqué, produit en moyenne trente fois son poids en déchets !
« La fabrication d'une puce électronique basique de deux grammes nécessite jusqu'à six cent trente fois son poids en énergie fossile et en substances chimiques ! » s'insurge le chercheur américain Eric Williams, dont les travaux font aujourd'hui trembler l'industrie.

D'où ce paradoxe : dans l'ère nu­mé­rique, plus on « dématérialise »,
plus on utilise de matière.
Plus on miniaturise et complexifie les composants,
plus on alourdit leur impact sur l'environnement.
« Les éléments utilisés doivent être de plus en plus purs, ce qui exige toujours plus d'éner­gie et de traitements chimiques », renchérit Eric Williams.
Résultat, la phase de fabrication s'avère plus énergivore que la phase d'uti­lisation du produit par les consommateurs, contrairement à ce qu'avancent les industriels depuis des années.
Plus émettrice en CO2, aussi, puisque ces composants sont fabriqués en Chine ou en Corée, dont l'électricité provient du charbon et pèse donc lourdement dans le réchauffement climatique.
Les industriels ont beau avancer - à juste titre - que leurs usines sont de plus en plus propres, il ne s'agit que des usines d'assemblage.
Les dé­gâts ont déjà eu lieu, en amont.

Mais le vertige de la mondialisation ne s'arrête pas là.
Plus les composants sont complexes, plus ils exigent de métaux rares : le tantale, par exemple, indispensable aux téléphones portables.
Ou l'indium, aux écrans plats LCD (la technologie « cristaux liquides », qui représen­te aujourd'hui la plus grosse part du marché, loin devant les écrans plasma).
Les fabricants sont en train d'épuiser ces minerais précieux à un rythme inégalé.
Dégâts écolo­giques, mais aussi humains : en République démocratique du Con­go, entre 1998 et 2001, la guer­re civile a notamment eu pour en­jeu l'accès aux mines de tantale, les plus importantes d'Afrique, au moment même où la vente mondiale de té­léphones mobiles explosait...
Et si les Chinois investissent mas­sivement dans l'industrie minière sur tout le continent africain, c'est bien pour contrôler toute la filière d'approvisionnement de l'industrie high-tech.

Tout noir, l'écran plat ?
Les cons­tructeurs avancent l'argument de la consommation électrique : un écran LCD de 32 pouces est moins gourmand en énergie qu'un bon vieux cathodique de la même taille. Même en mode veille, pour tous les paresseux qui préfèrent jouer de la télécommande depuis leur canapé.
Sauf qu'il y a un hic : nous aimons les écrans de plus en plus grands. Les fabricants aussi, qui délaissent les « petits » 32 pouces au profit des plus grands, plus chers et qui offrent donc des marges bien plus intéressantes.
Or cette course au gigantisme finit par annuler le gain en énergie - surtout dans le cas des plasma -, comme le montre une toute récente étude réalisée pour le compte de la Commission européenne.
Ajoutez à cela la multiplication des accessoires - lecteurs de DVD, adaptateurs TNT et autres boîtiers de télé par ADSL... - et faites le bilan de la facture énergétique...
« De plus, lors­que l'écran gagne en taille, il deman­de une résolution d'image accrue », rappelle Yannick Vicaire.
Ce qui veut dire, à nouveau, surconsommation énergétique et miniaturisation lors de la fabrication.

Qui dit high-tech dit enfin renouvellement accéléré des équipements.
Un tube cathodique avait une du­rée de vie moyenne de dix à quinze ans.
Un écran plat, autour de cinq ans, reconnaît-on chez Sharp.
«A la différence des cathodiques, la technologie des écrans plats n'est pas encore mûre », dit Stéphane Le Pochat. D'où un taux de retour en service après-vente nettement plus important : le SAV de Darty enre­gistre un taux de réclamations de 50 % dans la première année qui suit l'achat, dont 10 à 20 % de pannes techniques !
Mais si la durée de vie a été divisée par deux, c'est surtout parce qu'on n'attend plus que sa télé ne fonctionne plus pour en changer.
Chez Sharp, on préfère parler de « dépassement technologique » plutôt que de mort du produit.
« Comme on améliore sans cesse nos téléviseurs, les gens ont tendance à renouveler plus vite leur équipement. »
Logique implacable d'une industrie qui con­verge inexorablement vers celle de l'informatique, celle-là même qui a imposé le concept d'obsolescence programmée de manière à forcer le renouvellement.
Une fois de plus, la sophistication des écrans plats se paie au prix fort, pour le consomma­teur et pour l'environnement, qui voit s'amonceler des masses de déchets d'équipements électriques et électroniques (les DEEE).
De 1,7 à 2 millions de tonnes par an, soit 16 kilos par habitant, selon l'Ademe, dont quatre au minimum doivent être collectés par les éco-organismes spécialisés mis en place en 2005, suivant les directives européennes.

En théorie, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes : les déchets ultrapolluants (plomb, mercure...) de nos vieux tubes cathodiques seraient désormais parfaitement recyclés.
Et remplacés par des écrans plats, moins toxiques (sauf qu'il reste encore du plomb dans la plupart des plasma, du mercure ainsi que quelques composants cancérigènes dans les cristaux liquides).
Mais non !
Renseignement pris auprès du principal éco-organisme, Eco-systèmes, la technologie de recyclage des écrans plats n'existe toujours pas.
« On les stocke, en attendant qu'un des programmes pilotes nous donne la solution. »

Alors que faire ?
A nous de « bien » jeter nos déchets, de consulter le prochain classement des entreprises high-tech de Greenpeace pour acheter les produits les moins polluants possible.
Mais cela ne suffira sans doute pas.
« Il y a bien un moment où nous n'aurons plus le choix : il faudra faire de la réglementation en force, renchérit Alain Anglade, un expert de l'Ademe. Y arriverat-on ? En cinq ans, le lobbying des industriels est monté en puissance, à tel point que, lors des réunions de préparation des réglementations à Bruxelles, les représentants des lobbies sont désormais majoritaires. Alors comment, nous autres ONG et organismes publics, pourrions-nous lutter ? »
Une seule solution, à notre portée :
apprendre à résister aux Nou­veaux objets de désir et de con­voitise... .
.
Weronika Zarachowicz
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