Un mannequin, The Alternative Hair show, Londres, le 26 octobre 2011 (Olivia Harris/Reuters)
Un acheteur déniché sur Internet, quelques e-mails, des photos, un passage chez le coiffeur et une enveloppe. Emma, 30 ans, a gagné 50 euros
en vendant l'an dernier une tresse de 60 cm.
« Mes cheveux sont de très bonne qualité et je trouvais ça dommage de les jeter une fois coupés. J'aurais préféré les savoir utiles à
quelqu'un. L'argent m'a décidée à passer le pas. »
Comme elle, des dizaines de femmes (et quelques hommes) vont sur le Web et proposent de vendre des mèches de 20 à 80 cm sur les forums. Certains
cherchent à donner une utilité à leurs cheveux, d'autres font explicitement état de leur besoin d'argent.
La mère de Cosette n'est pas
la seule à avoir dû vendre sa chevelure. Chez nos voisins espagnols, ce commerce est institutionnalisé.
Face à la crise, les espagnoles vendent leurs cheveux.
(AFP)
En France, quelques négociants et salons de coiffure ayant pignon sur rue offrent aussi d'acheter des mèches.
Vendre ses cheveux, légal ou illégal ?
La question qui se pose est celle de la légalité de la pratique. L'article 16-1 du code civil dispose que :
« Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. »
On ne peut pas vendre un morceau de peau décoré d'un tatouage, par exemple. Mais quid des cheveux ? Pour Anne-Laure Morin, avocate
spécialisée en droit de la recherche biomédicale :
« Les tissus et éléments qui se détachent naturellement du corps ont un statut particulier. Leur vente, après valorisation, est
autorisée. »
Un décret de 1995 prévoit
explicitement que les cheveux, les poils, les ongles et les dents échappent aux dispositions légales interdisant de prélever des éléments de son corps pour les vendre.
Selon l'avocate Anne-Marie Regnoux, spécialisée en droit de la santé :
« La vente de cheveux, assimilée à un contrat de vente mobilière, n'est pas soumise au principe de “non-commercialité” car les
cheveux sont assimilés à des déchets naturels. »
Extensions, postiches ou fétichistes
Qui sont les acheteurs ? La plupart des cheveux commercialisés servent à la fabrication de poupées ou de perruques. En France, Any d'Avray est une des leader du marché des perruques médicales. Cela fait
quinze ans qu'elle reçoit des cheveux :
« La majorité des personnes viennent pour un don. Mais chaque mois nous accueillons une vingtaine de personnes qui les vendent. Les
demandes sont bien plus élevées mais on fait une sélection sur la qualité et la beauté du cheveu. »
Depuis quelques années, la mode des
extensions a également dopé le marché. De nombreux salons cherchent à se procurer des mèches qu'ils pourront traiter (ou faire traiter) puis fixer à la racine de leurs clientes.
Autres utilisations plus marginales : des artistes sont à la recherche de cheveux à intégrer à leurs productions et des particuliers
veulent rallonger ou épaissir leurs « dreadlocks » en y ajoutant une poignée de cheveux naturels.
Sur les forums, certains mettent aussi en garde contre des fétichistes se faisant passer pour des professionnels de la coiffure pour se
procurer la chevelure des femmes.
« Il m'a conseillé de les vendre, je les ai donnés »
En 2009, Marie – le prénom a été changé –, 21 ans, cherchait elle aussi un acheteur pour ses 25 cm de cheveux bruns.
« Mon coiffeur avait du mal à me couper les cheveux tellement il les trouvait jolis. Il m'a alors conseillé de les
vendre. »
Après quelques messages sur Internet, elle a opté pour un don à une association basée en Amérique du Nord. Locks of love fabrique des perruques pour des enfants malades.
« Ma mère a eu un cancer quand j'avais 8 ans. Cela m'a tellement choqué de la voir sans cheveux, que je me suis dit, si ça peut aider
des petites filles ou garçons à vivre un peu mieux leur maladie, pourquoi pas ? »
Emma a donc confié ses cheveux à une amie qui les a postés depuis New York, quitte à renoncer à son pécule.
Combien ça rapporte ?
Le prix des cheveux varie considérablement d'un acheteur à l'autre. Un internaute propose « entre 0,75 et 2 euros le centimètre ».
Un autre propose un prix plus élevé, « entre 70 et 200 euros pour 50 cm. »
Any d'Evray peut rémunérer jusqu'à 100 euros pour 30 cm de « beaux cheveux ».
Tous les acheteurs exigent une ou plusieurs photos avant de s'engager sur une somme. Car en matière de cheveux, il y a des échelles de
valeurs. Tout dépend de leur longueur, leur épaisseur, des produits utilisés pour leur entretien, du soin qui leur est accordé... Un vendeur non fumeur se verra proposé un prix plus élevé.
Celui qui a les cheveux clairs aussi.
Car ce qui fait le prix du cheveu européen, c'est avant tout sa rareté.
De l'Inde aux salons parisiens
En France, la plupart des cheveux vendus (aux alentours de 6 euros la mèche pour les extensions) viennent d'Inde.
De nombreux hindous se rasent la tête après le décès d'un
proche. Beaucoup se tondent aussi par dévotion pour présenter leur crâne chauve aux divinités. Des businessmen ont compris le filon et se sont lancés dans l'export de ces longs cheveux
noirs. Au temple de Tirumala Tirupati dans l'Andra Pradesh, près d'une tonne de cheveux sont collectés chaque
jour.
Il y a quelques années, une équipe d'« Envoyé spécial » a retracé la route du cheveu, de l'Inde aux grands salons de coiffures
occidentaux.
Le « problème » pour les négociants, c'est qu'il faut les traiter longuement pour les
décolorer puis les re-colorer suivant les teintes recherchées par les clients européens.