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Elle squatte notre blog, mais au final on s’y fait. Claire, on finirait
même par apprécier. C’est qu’elle a de très bonnes fréquentations cette femme là. Alors derrière ses sourires Hollywoodiens et ses nez rouges on fini par découvrir un personnage qui
vaut le détour. D’ailleurs ses textes sont des petits voyages, alors laissez vous guidez et attachez vos ceintures : nous partons pour Notre-Dame-des-Landes.
Si vous avez les oreilles qui sifflent, c’est normal,
c’est le changement qui décolle
Embarquement immédiat
Mesdames, Messieurs, bienvenue à bord !
C’est avec grand plaisir que je vous accueille dans notre tout nouvel airbus 444. Mon nom est Victoire et c’est moi qui vais
vous accompagner tout au long de ce voyage.. Installez-vous confortablement dans vos sièges flambant neufs – et en matériaux recyclés évidemment, nous allons bientôt décoller.
Ma collègue passera parmi vous dans un instant pour vous apporter de quoi vous restaurer.
En attendant, j’aimerais vous rappeler que vous êtes dans un aéroport in-ter-na-tio-nal, un vrai hub au summum de la
modernité, qui n’a été conçu que pour satisfaire vos besoins les plus exigeants.
Je tiens à vous le rappeler parce que ça n’a pas été facile d’en arriver là, il a fallu venir à bout d’individus des plus
enragés, qui s’étaient mis en tête de s’opposer au progrès.
Ces gens là ne comprenaient pas – je pense d’ailleurs qu’ils
n’avaient tout simplement pas les capacités intellectuelles pour le concevoir – que notre salut résidait précisément dans la construction de cet aéroport.
Ils nous expliquaient que l’on pouvait très bien se satisfaire de l’ancien aéroport de Nantes, comme si c’était raisonnable
de se contenter de ce qu’on a déjà alors qu’on pourrait avoir plus grand, plus beau, plus fort.
Je ne dis pas, il marchait bien cet aéroport, et c’est vrai qu’il n’était même pas utilisé à plus de 35 % de ses
capacités, mais nos experts étaient formels, l’explosion de la fréquentation était imminente, c’était donc un vrai problème d’intérêt(s) général.
Notre bien-aimé premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui était maire de Nantes à l’époque, l’avait bien compris et
faisait tout son possible pour réduire au silence les vociférations insupportables de la poignée d’anarchistes qui s’opposaient absurdement au projet. De vrais déséquilibrés, je vous
assure.
Écolos, Fachos !
Ils refusaient catégoriquement de contribuer à l’effort
national pour augmenter la Croissance, et préféraient jouer dans leur coin à Bob le bricoleur, cultiver des légumes et fabriquer du pain.
Vous comprenez bien qu’il était inacceptable de laisser cette cinquantaine de barbares moyenâgeux occuper inutilement des
terrains aussi précieux pour l’avenir de notre pays.
Les paysans, c’est bien, mais faudrait pas non plus qu’ils nous empêchent de vivre !
D’autant plus qu’il n’y avait pas que des agriculteurs.
Ils avaient été rejoints par des vauriens, des squatteurs, qui prétendaient tenir à cette zone boueuse – soit-disant
extrêmement importante du point de vue de la biodiversité. Tout ça pour quelques grenouilles, non mais vous vous rendez compte !
On ne s’appelle pas Brigitte Bardot non plus !
L’écologie, on en entend assez parler comme ça, on a des ampoules à basse consommation et puis on paie une taxe sur nos
émissions de gaz à effets de serre, ça suffit pour préserver la planète, non ?
Le pire, c’était leur arrogance.
Non seulement ils passaient leur vie à emmerder le monde, mais en plus, ils osaient nous donner des leçons sur la manière
d’utiliser les fonds publics !
Un comble.
On n’allait quand même pas gaspiller de l’argent pour soigner les pauvres – ou pire, les sans-papiers ! – ni financer
des profs pour les sales mioches des banlieues !
De toute façon, c’était un faux prétexte, ces gens ne vivaient pas dans la réalité, ils n’avaient même pas la télé !
Vous faudrait que vous lisiez la lettre sans queue ni tête qu’ils avaient envoyé un jour au préfet, pour mesurer leur état de folie.
Selon eux, c’était nous les agresseurs, nous qui portions atteinte à la propriété privée, nous qui nous moquions de ce que
nous allions laisser aux générations futures.
Un vrai tissu d’inepties sans queue ni tête : que seraient-elles aujourd’hui, les générations futures, sans cet superbe
aéroport ?!
La Guerre d’Octobre
Si nous avons du subir ces affronts pendant trop d’années, c’est
parce qu’à l’époque, on devait encore faire semblant d’être dans une « démocratie », et donc attendre les autorisations juridiques pour lancer l’assaut.
Mais nous avons toujours maintenu une pression formidable pour les atteindre psychologiquement.
Vous auriez du voir ça, présence policière plus ou moins pacifique, lettres d’expulsion et j’en
passe.
Eux répliquaient par quelques slogans peints sur de vieux draps, c’était ridicule.
Et puis, en octobre 2012, on a décidé que ça suffisait.
Il faut dire que la trêve hivernale allait bientôt arriver, et que ça aurait fait mauvais genre de les expulser après.
Alors un beau matin, ce fut le grand débarquement dans la ZAD (Zone à Détruire) : 500 gendarmes mobiles, des
hélicoptères, des bulldozers.. Quel spectacle grandiose !
Cette puissance, cette démonstration de force, c’était impressionnant, vraiment.
Nos pseudo-rebelles faisaient pâle figure, je vous le garantis.
On aurait dit de vulgaires petites fourmis qui s’agitaient en vain, tentant de repousser provisoirement l’inéluctable
fin.
Ah, c’est sûr qu’ils se battaient comme des chiens enragés.
À force de vivre dans les marécages, ils étaient devenus coriaces !
Enfin tout ça est derrière nous maintenant.
Quand j’y repense, j’en ai encore des frissons.
On a vécu des moments intenses, inoubliables.
Imaginez-vous, ils étaient là, à lancer des épis de maïs sur les forces de l’ordre !
Mais vous pensez-bien qu’en face des gaz lacrymogènes et des tazers, ils ne faisaient pas le poids.
Ils avaient beau construire des barricades, s’attacher aux toits de leurs cabanes, bloquer les routes, nous étions les plus
forts, et les plus nombreux.
Assister à l’avancée inexorable des bulldozers, voir les maisons s’écrouler une à une jusqu’à ce qu’il ne
reste plus qu’un tas de pierres fumant, ça n’a pas de prix..
On les a traqué jusqu’au bout.
Tout a été massacré : les champs, les jardins, les habitations.
Le plus jouissif, c’était de voir leur visage.
Un mélange de haine, d’écœurement et d’impuissance.
Ah, elle portait bien son nom, l’opération « César » !
C’était nous, les empereurs, les maîtres absolus du moindre carré de terre !
Tout nous appartenait, tout était à notre merci.
Mais vous connaissez ce sentiment, n’est-ce pas ?
Si vous êtes ici, dans cet airbus 444, c’est parce que vous faîtes partie de cette élite qui peut s’offrir le luxe de voyager
en avion..
Allons, portons un toast : À la victoire du capitalisme financier sur l’outrecuidance de ces illuminés,
sur l’insolence de leurs revendications et de leur lutte !
Claire Batailler
Note de l’auteure : Et si… on écrivait une autre histoire, tous
ensemble
http://lutteaeroportnddl.wordpress.com/